De l’urbanisation d’aujourd’hui à la campagne d’hier, il n’y a que quelques toises…

La vie n’étant pas un long fleuve tranquille, je n’avais pas pu revenir vers vous depuis plusieurs mois.

Mais aujourd’hui l’eau a retrouvé son cours et c’est pourquoi je me remets au clavier pour vous raconter une sortie course à pied que j’avais en tête depuis bien longtemps et que j’ai enfin pu réaliser ce mois ci.

Voici la trace de mon parcours :

Mais pourquoi me direz vous, ne pas avoir longé la digue, sur la piste cyclable, comme l’aurait fait n’importe quel coureur,

  au lieu de courir au milieu des voitures???

Non, je n’ai pas voulu, comme certain, représenter quoi que ce soit en faisant du GPS Drawing !

C’est une fois de plus l’histoire qui aura guidé mes pas.

Un parcours très urbain, presque trop je dirais. Et pourtant.. Vous allez comprendre.

Rien ne vous interpelle en regardant le tracé de mon parcours qui entour le Drac?? C’est plutôt rectiligne non?

L’élément déclencheur aura été le nom de cette résidence situé sur l’actuelle rue Ampère de Grenoble devant laquelle je passe tout les jours pour aller travailler.

Allez je vous aide un peu…

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Remontons le temps jusqu’au 18ème siècle avec cette carte :

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(Carte de J. Verduc, « Le drac et ses affluents » d’Auguste Bouchayer)

Vous les voyez ces deux lignes qui encadrent le torrent?

Et bien il s’agit de « réserves ». Ces terrains, sablonneux, avaient été plantés d’arbres à égale distance du Drac sur la rive gauche et la rive droite afin de limiter les inondations.  Cette zone de 120 Toises était surveillée à l’époque par des gardes et il était interdit de la défricher sous peine d’amende.

  • Petit interlude mathématique :
  • 1 toise étant égal à 1,494m  combien font 120 toises en mètres?

C’est notre ami Google qui a trouvé la bonne réponse!!!

Revenons maintenant à mon parcours (téléchargeable ici).

Les 120 toises sont encore bien visibles et traçables :

BINGO!!!!!  Cela fonctionne encore en 2021, je ne me suis pas trompé!!!

Me voila donc parti depuis la rue Ampère qui correspond à cette limite de réserve :

Après recherche, je découvre que cette rue s’appelait d’ailleurs autrefois « chemin des 120 Toises« 

(Plan 1891, Bibliothèque municipale de Grenoble)

je continue mon périple en ligne droite jusqu’au « pont de Catane » et j’enchaine sur le début de la rue Rhin et Danube. Sur ma droite, derrière la station service,  les anciennes « réserves ».

Je passe devant cette rue adjacente qui m’interpelle. Pourquoi ce nom? En hommage à quoi, à qui..??

Rien de parisien dans ces Champs Élysées!!!!!  C’est bien dans l’histoire de Grenoble qui aura fallut chercher, et ça n’a pas été simple ! En effet, Grenoble à bien eu ses « Champs Élysées« . Retour de nouveau dans le passé…

(carte Sueur de la Hire,extrait de le Drac et ses affluents. A Bouchayer)
(Altas de Trudaine)

En effet, toujours dans cette zone de reserve, en 1720 le Comte de Médavy, Gouverneur du Dauphiné fit aménager un grand jardin public planté d’arbres majestueux et aux allées soigneusement dessinées.

Après un travail minutieux, voila une superposition permettant de découvrir une partie de l’emplacement de ce jardin  qui s’étendait en direction du sud sur près d’un kilomètre.

(superposition Google 2021 et Atlas de Trudaine 1750)

On y voit deja se dessiner la « bizarre » rue Nicolas Chorier qui part tout de travers pour aller rejoindre au nord le cours Jean Jaurès deja existant, ainsi que la rue du Docteur Hermite qui marquait l’entrée de ce jardin en ligne droite depuis le cours.

Avant d’arriver au Stade Bachelard, toujours dans la continué de ces réserves, je constate que la Métropole va remettre un peu de verdure dans la cité Mistral avec ce projet appelé « La Prairie demain… »

C’etait un peu ça « hier » pourtant, mais le béton et l’urbanisation des années 60-70 est malheureusement passé par là!

Malgré cela, quelques mètres plus loin, c’est de nouveau le béton qui reprend place.

Me voila maintenant au beau milieu du parc Bachelard, ça sera le seul passage « vert » de toute ma sortie. Je suis ici toujours sur le tracé rectiligne des 120 Toises et surement sur la seule partie encore « préservée » de cette époque.

J’arrive maintenant au « Rondeau » qui aujourd’hui n’est rien d’autre qu’un échangeur de voies urbaines, en pleine mutation avant l’achèvement des travaux de mises à 3×3 fois de l’A480. Il va maintenant me falloir rejoindre l’autre rive.. Rien de simple! C’est assez effrayant de voir ce chantier!!!

Je prends alors conscience ici de la bétonisation et de l’urbanisation galopante que nous subissons depuis quelques décennies… Des réserves, il ne reste rien. Nous voila aujourd’hui pris dans un carcan de routes, ponts, tunnels.. A l’heure où l’on nous parle d’écologie, de mobilité douce et d’écoresponsabiltié…Je ne vois ici que du gris et de l’asphalte!

Sans remonter jusqu’au 18ème siècle, nous voila à peu de choses près au même endroit vers 1890, soit il y a 130 ans seulement!! Ce n’est rien à l’échelle de l’humanité. Ces terrains étaient encore préservés à cette époque.

(Source : Bibliothèque municipale de Grenoble – Le Rondeau)

Une photo reposante. On y voit encore les alignements d’arbres en bordure du Drac, et des champs à perte de vue, Grenoble semble si loin….

Il me faut maintenant traverser le torrent grâce à la passerelle métallique :

pour me retrouver « rue de la Liberté » à Seyssins, sur la limite des 120 Toises sur l’autre rive.

Par ici aussi encore des travaux d’agrandissement de locaux commerciaux :

Il me reste maintenant à re-longer dans l’autre sens cette limite et voir ce que je pourrais y trouver d’évocateur.

Quelques superbes anciennes fermes comme celle ci un peu perdue au milieu d’immeubles modernes faisant référence à un passé agricole aujourd’hui bien loin :

Et des noms de rues qui ne veulent plus dire grand chose. Mais où est donc ce fameux grand prés? Je ne l’ai pas trouvé..

Sur cette vue d’avion de 1919 en voit bien les anciennes fermes sur la rive gauche. Le grand pré est il celui visible en bas à gauche de la ferme? Surement… Quant à la rive droite c’est encore un « désert vert ».

(1919 (IGN) A hauteur de l’actuel cité Mistal en bas et le pont de Catane en haut sur la partie droite de l’image)

De « la Plaine » il ne reste aujourd’hui qu’un arrêt de bus.

Et encore un nouvel immeuble en construction ici, toujours dans ma remonté vers Fontaine.

Tiens! Un petit bout de verdure dans l’ancienne zone de « réserve » en arrivant au niveau du passage du tram sur le pont de Catane, mais c’est bien maigre..

Ma boucle va se terminer en repassant le Drac sur le pont du même nom afin de rejoindre la rue Ampère.

J’aurais, durant ces 9 km, pu retracer une partie de l’histoire de Grenoble au travers de ces 120 Toises dont vous venez peut être de découvrir. Il existe encore aujourd’hui une avenue des 120 Toises au Pont de Claix et même un cimetière du même nom à Échirolles.

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En lieu et place de l’actuelle A480,

Laissez moi maintenant vous emmener sur les berges du Drac vers 1890, pour une balade « nature » au bord du torrent avec encore à cette époque ses alignements d’arbres.

Bords du Drac — C.13.1 à C.13.14
Source : Bibliothèque municipale de Grenoble
Bords du Drac — C.13.1 à C.13.14
Source : Bibliothèque municipale de Grenoble
Bords du Drac — C.13.1 à C.13.14
Source : Bibliothèque municipale de Grenoble
Bords du Drac — C.13.1 à C.13.14
Source : Bibliothèque municipale de Grenoble

Grace à cette sortie, je ne vois plus aujourd’hui ces rues avec le même regard, je me rends compte que la ville change, s’agrandit d’année en année, que l’urbanisation continue, toujours aussi galopante, envahissante, étouffante, que Grenoble n’est pas aussi verte que ce qu’elle prétend être.

En tout cas j’aurais surtout fait une fois de plus un retour dans le passé et découvert une partie de l’histoire de cette ville qui n’en finie pas de me surprendre.

Je vous laisse méditer sur cette chanson évocatrice qui reste toujours d’actualité.